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- Londres, hiver 92-93
Bon, ça fait plusieurs fois que l'on me dit ici que l'on aime ma prose. J'hallucine un peu mais bon. J'essaie juste d'être précis.
J'avais commencé ici mes mémoires, quand je m'appelais Franch.
https://www.apie-people.com/forum/communaute/temoignages/memoires-39859
Le projet était de les intégrer dans une science-fiction mais vu comme c'est parti, elles feront des centaines de pages. Je ferais deux livres séparées.
Ceci est donc la suite. À 22 ans, je quitte Rennes pour Londres. Ça reste un premier jet que je viens de finir (il est cinq heures). Y a encore beaucoup de boulot. Ne retenez surtout pas vos retours critiques, c'est pour moi un luxe d'en avoir au fur et mesure. Et dites-moi si ça vous dit que je continue à poster.
LONDRES
Avec Rafa et un pote, anar tendance autonome, nous partons à Londres. En ferry, c'est rigolo. Moi et Rafa avons décidé de squatter là-bas, l'ami ne fait que nous accompagner le temps d'un rassemblement international d'une semaine organisé par Class War.
C'était un groupuscule anarchiste hyper-actif en Grande-Bretagne dans les années 80-90. Il en reste aujourd'hui le seul web-quotidien anarchiste du monde. Je les ai toujours trouvés un peu ridicule de focaliser à ce point sur la lutte des classes, concept érroné. Une logique de violence révolutionnaire qui m'a toujours dépassé. Mais ce ralliement à fait venir un bon millier d'anarchistes de tous les continents, de toutes les obédiences. Une organisation à couper le souffle. Discours, ateliers de réflexions en petits groupes, concerts le soir.
The Blaggers, skinheads anar. Le mouvement skinhead est à la base ouvriériste et où les fachos, courant 80, ont racolé en masse. Les Blaggers soutenaient de façon intensive les fameuses grèves mythiques des mineurs. Chumbawamba et sa musique dansante, très squatteur londonien, anti-sexiste, anti-raciste, anti-homophobie, etc. Ils récoltaient des fonds pour les assos pour le droit des animaux, pour les femmes militantes irlandaises en prison, etc, etc. C'était leur période charnière entre un punk-rock dansant et les influences techno-pop. Et d'autre groupes moins connus.
Nous y rencontrâmes de chouettes gens qui nous montrèrent un endroit à squatter à Hackney, plutôt au nord. Nous ouvrons donc un trois pièces-cuisine dans une cité de quatre mille appartements et où vivaient jusqu'à mille squatteurs. Au Royaume-Uni, c'était un sport national, ce n'était pas encore interdit. Des familles de travailleurs pauvres aussi. En Angleterre, il y a des quartiers, à Manchester en particulier, où l'espérance de vie est plus basse qu'à Calcuta.
Nous branchons illégalement l'eau, l'électricité et le gaz. La cuisinière comportait même un grill pour les toasts. Ah, ces anglais ! Le chauffage ne fonctionnait pas, alors j'ai fait une mini-cheminée dans le conduit d'évacuation du gaz. J'y ai fait les meilleurs poires cuites caramélisées de ma vie.
Des potes français, dont Manu qui avait chanté un temps dans Nagasaki by Night, Joujou et son calme légendaire, habitait le Black Boule, un pub, ex-Black Bull. Billard, concerts et bouffes popu à base de récup. Ils m'invitaient à habiter avec eux mais j'étais parti pour prendre du recul et je trouvais bien précaire leur installation. Et assez sale, en fait. Sans être un taudis, hein ! J'étais bien dans mon appart'.
J'ai demandé à Rafa si il y avait moyen de trouver du shit, j'avais envie de goûter. J'ai donc commencé sans tabac avec un bon professeur. Ça lui faisait peur de me voir perdre ma pêche et nous décidâmes d'énoncer ce que l'on allait faire avant de fumer. Et ça marchait, de toutes façons le shit m'a rarement rendu apathique. Sauf si je le décidais.
On dessinait, on écrivait, on bricolait, on décorait, on se promenait. Et j'y ai pris goût. Je traversais la ville en bus à l'impérial, à l'étage et les yeux collés au pare-brise, pour acheter un morceau à des potes de Rennes dans un appart' à Brixton, plutôt au sud. Ça passait par la City, j'aimais bien ces changements d'ambiance.
Un jour, une chienne est rentrée dans le bus et ne voulait plus partir, planquée sous les sièges. Le chauffeur n'arrivait pas à la faire descendre et commençait à s'énerver. Je l'ai prise et l'ai gardée. Prosper est restée quelque semaines avec moi et est repartie un jour de marché. Elle avait l'air de savoir ce qu'elle faisait.
Et puis Rafa est reparti pour tenir chaud à sa compagne qui lui manquait. Ok, j'assume ma solitude.
Le matin, une demi-heure de yoga simpliste, histoire de m'échauffer, deux heures de jonglage sur la pelouse au milieu des immeubles. À midi, récup' au marché, j'y retrouvais de temps en temps les potes. Un peu de manche et retour à la maison.
Et j'ai commencé à faire le tour des lieux et des orgas. Les autonomes italiens ; le One-two-one, coopérative d'alimentation, j'y suis allé deux trois fois faire mes courses et papoter ; Greenpeace London (rien a à voir avec Greenpeace), pacifiste et écologiste mais profondément libertaire, je traduisais leurs tracts que j'envoyais à Rennes pour faire tourner les infos et pour parfaire mon anglais ; l'ALF (front de libération animal), des activistes purs et durs, le film fantastique pour enfants Okja y fait clairement référence ; les Hunt Saboters, qui comme son nom l'indique sabotaient les chasses à courre, j'y suis allé une fois : un petit tour en 4x4 jusqu'au lieu de chasse et on sonnait la corne pour tromper les chiens avec qui on courait et s'amusait. Cette fois-ci, le renard d'élevage, lâché à l'avance par les aristos sapés comme vous l'imaginez, a réussi à s'enfuir, jouissive petite victoire. Des flics aussi sont là, mais tant qu'il n'y a pas voie de fait, aucune loi n'interdit de courir et de hurler dans les champs. Les aristos fulminaient et nous on se foutaient royalement de leur gueule, à l'anglaise.
J'ai vu en concert Gong, groupe hippy mythique, j'étais totalement défoncé, ce fut magique ; No Means No, les canadiens jazz-core ; The Honkies, the Ex et Dog Faced Hermans dans un pub ; et d'autre petits groupes sympas dans des petits lieux. Je me rappelle un excellent moment dans un salon, des danseurs de claquettes et manches à balai, fabuleux.
J'y ai aussi gobé mon deuxième trip, avec Gwen de passage, dans un appart' voisin, à cinq six personnes. On restait là, personne ne parlait vraiment. De temps en temps, j'essayais de partager mes visions, l'abat-jour était un tête qui souriait, le papier-peint, un paysage lunaire. Les yeux des autres pétillaient un instant puis retour au mutisme. Je comprenais pas bien l'intérêt. Alors je suis retourné chez moi écrire. « Tu vas écrire ! ». Stupéfaction générale.
J'ai déversé tout ce que j'avais sur le coeur de mes histoires rennaises et mes élucubrations poético-politiques du moment. Puis Gwen m'a rejoint et nous sommes sorti avant le lever du soleil dans un parc pour enfant. Nous avons parlé, assis sur le tourniquet, remodelé notre vision du monde. C'est parfois pénible les hallucinogènes, tu découvres La Vérité mais tu es incapable plus tard de la remettre en mots. Mais j'ai adoré.
Des mômes du quartier venaient parfois m'embêter, jetaient des trucs par la fenêtre ouverte, j'étais au rez-de-chaussée. Un jour, une pierre tomba lourdement sur ma table basse en verre. Sproutch. J'ai fait le tour en courant et les ai rattrapés sur la pelouse du milieu. J'en ai fait tomber un gentiment et me suis assis. « Come on, sit down, we have to talk ». Ils se sont mis en cercle et on a causé. « Mes parents disent que tu squattes alors qu'eux ils paient un loyer ». J'explique mon cas et une petite a fini par avouer que quand elle était petite, elle aussi squattait avec sa maman. Affaire réglée, ils ne m'ont plus jamais fait chier.
Et il y a eu des histoires de filles. Un groupe de nanas habitaient pas loin. Celle que je trouvais la plus jolie et la plus gentille, ma taille, cheveux blond très courts, a bien tenté de me ramener chez elle plusieurs fois, elle m'invitait régulièrement à passer, je disais oui mais n'ai jamais osé. Alors elle passait chez moi avec d'autres copines. Pas malin. Je suis vraiment un pauvre chouchou escargot quand on me drague mais si en plus on me regarde, on ne voit que ma coquille, comme d'hab. Alors on a fumé comme des sagouins, j'ai allumé les lampes jaunes clignotantes chapardées sur un chantiers et j'ai mis le morceaux « Je t'aime » de Philippe Val (du temps d'avant sa sociale-traitrise). Je suis sacrément passé pour un taré. Technique efficace pour m'en débarrasser et éviter le mal que ça me faisait en la voyant s'échiner pour rien. Pas de tentation, pas de frustration. Elle n'est jamais repassée.
Et une autre, rencontrée au Black Boule et qui vivait avec les italiens. On papotait bien. J'ai passé une journéee à faire un collage photo et suis allé la voir chez elle pour lui offrir. De la fin d'après-midi au milieu de la nuit, j'avais en boucle dans ma caboche : « allez, c'est le moment, offre-lui, ça lui fera plaisir et tu verras bien ce qui se passe », court-circuité par dix milles questions à la seconde. Elle a fini sous d'autres draps, je les entendais baiser à travers la fine cloison. Je suis parti incognito et j'ai dormi deux jours. J'ai gardé ce collage quelques temps, il était magnifique.
Après trois mois à Londres, j'ai rejoint Parkaj Mental à Colchester, septante kilomètres plus au nord, dans un pub, encore un. Je le trouvais aussi précaire que l'autre alors avec une des copines, après une semaine et une soirée bien glauque, on a fait un tour en campagne et on est tombé sur un ancien relais de chasseur du XIX° réhabilité un temps en maison de retraite, encore meublé.
The Grove Hill, la colline au buisson, rebaptisé par moi The Groove. Au rez-de-chaussée, la salle de billard (ramené du pub) et autres jeux, la salle de jonglage, la salle de répèt', un vaste salon et sa table gigantesque avec bais vitrée, vue sur le parc et son chêne tricentenaire. Et la cuisine équipée pour une collectivité.
À l'étage, une bonne vingtaine de grandes chambres accueillaient jadis des dizaines de vieux, quatre-vingt si mes souvenirs sont bons. La mienne était dans la tour, une pièce tout en rond, même les portes et les fenêtres. J'y ai placé le lit au milieu, sous le dôme rétroéclairé, et toutes mes affaires dans le placard. On y accédait par une salle que j'avais coupé en deux par des armoires et accroché des rideaux derrière de sorte que l'on croit que c'est un mur. Ces armoires de dortoir avec une porte de chaque côté. J'ai retiré une cloison à l'intérieur et j'y accédais de l'autre côté en passant dedans. La bonne planque.
Il restait du gaz dans l'énorme citerne à l'extérieur, j'ai remis la chaudière en route, piraté l'eau et l'électricité. Les cops sont passés constater et prendre les noms. La carte d'identité n'était pas obligatoire à l'époque, alors on disait des faux noms.
Je viens de retrouver des photos sur le net, un site immobilier la vend près de trois millions de livres.
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Pourquoi s'emmerder dans des pubs pourris, sans dec ? Ah, ces jeunes punks ! Jamais je n'ai habité dans des lieux où il y a trop de boulot pour être confortable, je choisissais avec parcimonie. Mais celui-là a été de loin le plus luxueux.
Nous y sommes restés trois mois pour répéter, j'ai appris la clarinette grâce à une méthode et j'ai intégré le groupe. Une tournée était prévue. Une date à Hambourg, deux en Pologne et dix en Tchécoslovaquie, avant la séparation. J'ai acheté une camionnette avec mon chômage d'intermittent du spectacle et zou. Adieu l'Angleterre.
🙂 C'est foisonnant tout ça@Bouhh. Et toujours aussi plaisant à lire. Et cette baraque! Un sacré terrain également!
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