Percevoir avec philosophie (ode à Bergson)

C'est toute la philosophie qui se noie dans le concept
Et Plotin comme Platon en firent un si gros transept
Qu'ils égarèrent avec fidélité les penseurs bien en Formes
Qui durent se résoudre à des sentiments plus chloroformes.

Le fait est, car le fait est têtu : la sensation est trop trompeuse
Et s'il ne faut théoriser, la métaphysique devient hasardeuse :
Qui voudrait donc des arguties sur ce que l'on ressent
Puisque c'est un domaine privé, privé des bonnes gens ?

Le Temps doit être suspendu pour saisir avec sérieux
Ce qui demeure et persiste au-delà du délictueux :
On ne parlera de l'Amour ni même d'aucuns dieux
Si l'on n'arrive pas à sortir de son esprit une idée ou deux.

Le romantisme de la philosophie était donc un oxymore
Mais Bergson l'a dit : qui pense ainsi s'occit et fait le mort
Car l'anesthésie de la vie conduit à des dédales mortifères
Et si Kant put le repérer, il la condamna pourtant avec ses pairs

Et ça ne pouvait guère aller dans le sens d'une science savante
Car toute ce qui passe est un flux, et la fluence est si nesciente
Que le prophète qui prédira que ce qu'il va dire ne sera pas
Serait un suppôt de Pierre Dac et un guignol de bon aloi ;

Mais Bergson ne s'en laissa compter, et détourna tous les courants
Façon Héraclite, dans la phénoménologie d'un vieux Continent ;
Car si les sens sont incontinents, les sens des Idées le sont autant
Ôtant donc par là la possibilité d'un accord, recherché pourtant.

Car c'est d'une grande maladresse, constata ce Français
De vouloir des systèmes avec des impasses et des arrêts
Car en insistant sur un point, on néglige mille pendants
Et l'on érige ainsi trente esprits qui tireront en beuglant

Alors que le véritable accord est de partir du commun
Et si la différence est une veine, vains sont les crétins
Qui iront dans un livre dire combien l'Ancêtre a tort
Quand lui-même devenu vieux aura reçu cent désaccords

Et voilà comment on tue deux mille ans de philosophie
D'un geste délicat, avec irénisme et sans trop d'argutie
Car la beauté n'est pas de dire qu'il faut avoir toujours raison
Mais qu'il faut sentir l'évidence et le printemps en toute saison

Et la force n'est pas d'y croire mais de se résoudre en scintillant
L'artiste après tout dit le vrai sans les oeillères de ces bien-pensants
Car s'il faut cesser de donner aux mots des utilités prudes & comiques
On pourra se recentrer sur la villégiature d'un humanisme héroïque

Et l'intuition se fit alors un râtelier admirable et fécond
Qui donna quelques nouveaux penseurs aux grands noms,
Or si d'aventure, avec quelque sérieux, vous voudriez en être
Adjoignez toujours à toutes vos déclarations d'élégants peut-être.