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- Le jour où l'aventure est morte.
L'aventure !
Se perdre, jusqu'à oublier qui l'on est, d'où l'on vient, où l'on avait prévu d'aller ; ressentir le frisson de la rencontre avec l'inconnu, qui s'invite dans tout le corps... Respirer un grand coup, et avancer sur un territoire absolument vierge de nous-même ; vivre le moment présent dans sa plus grande puissance, et s'autoriser à y renaître à chaque instant. Savoir que chaque pas pourrait être le dernier, et pourtant, avancer.
Je me souviens clairement du moment où l'aventure est morte.
Je m'étais perdu sur une plage sans nom, au hasard, sans programme, sans plan, projet, ni guide, j'étais l'étranger dans toute sa splendeur, et les quelques humains qui m'entouraient, largement dépassés en nombre par lézards, corbeaux, scorpions, singes et serpents, m'éblouissaient en retour de toute leur splendeur étrangère et sauvage. Un lieu sans repère, sans temps ni balise, un endroit qui m'apparaissait alors comme encore inexploré par l'homme blanc et sa manie compulsive de documenter tout territoire, d'en faire un plan, une carte, pour mieux se l'approprier et l'incorporer dans la grande banlieue de son monde - sa manière à lui de "faire connaissance". La présence bien palpable du risque me donnait régulièrement des suées, du sourire, et des accélérations cardiaques.
C'est alors, que cela se produisit. L'aventure allait mourir là, sur cette plage même, sous mes yeux, d'une manière si banale, si ordinaire, si indigne d'elle !
Une femme marchait le long de la plage sans rien regarder d'autre que l'écran de la machine qu'elle tenait entre ses mains ; de loin je distinguais un visage sur l'écran, avec lequel elle se trouvait en conversation. J'entendis quelques mots : "great", "amazing", "so much fun", "so cool", "what's the weather in New-York ?", "miss you Mom". Elle tournait alors l'écran pour faire contempler à son interlocuteur la splendeur du sauvage qui l'entourait, et immédiatement le domestiquer, n'en faire que le décor de sa vie du moment. Puis elle reprit sa conversation. C'est ainsi, à ce moment précis, que l'aventure avait quitté notre monde. J'avais devant moi le cadavre de toute velléité d'exploration humaine.
Dorénavant, chaque humain trimbalerait avec lui, à tout moment, tout son passé, sa famille, l'identité qu'on lui avait imposée, l'avenir qu'on avait programmé pour lui, ses projets, ses "réseaux" familiaux, amicaux, professionnels ; dorénavant dans sa poche, tous ses repères, toutes ses croyances, tous ses divertissements, disponibles à tout moment, l'empêchant ainsi à jamais de se perdre, de s'oublier, de lâcher prise d'avec toutes les versions de lui-même que les autres avaient envisagées pour lui, de s'extraire de cette constellation de liens comme autant d'attaches, de laisses, de chaines, l'empêchant de n'être qu'ici, que maintenant. Dorénavant toujours prisonnier du regard des autres, dorénavant toujours en prison.
Dorénavant jamais présent, toujours connecté à des réalités virtuelles, augmentées, immédiates et lointaines, réclamant sans cesse son attention. Dorénavant, plus jamais disponible.
J'observais cette scène avec toute mon attention, car je savais que je vivais là un moment décisif dans l'histoire de la vie sur Terre. Je comprenais que le degré d'addiction de l'humanité envers la technologie venait d'atteindre son niveau maximal. Je réalisais que tout humain dont je croiserai bientôt le chemin, malgré son apparence proprette et sa tenue irréprochable, cacherait un junkie, un drogué, un screenoholic, un accro dernier degré, toujours en quête de sa dose d'immédiateté. J'admettais qu'alors, à ce moment là, les ingénieurs venaient de prendre le pouvoir, et que nous étions leurs cobayes.
Désormais, plus aucun endroit sur cette planète, ne saurait être libre de la tyrannie de la technologie. Désormais, plus aucun moyen, de se faire oublier, de fuir, de disparaître, de renaître : il faudrait être identifié, identifiable, localisé, localisable, à chaque instant.
La tristesse m'envahit soudainement, mais je ne m'autorisais à m'y complaire plus avant : le temps était désormais compté, il n'y avait plus une seconde à perdre dans quelque nostalgie ou mélancolie ; il me fallait déjà me préparer au combat.
Ce combat, pour honorer et défendre la mémoire, de l'aventure disparue.
J'ai dit !
juju
https://jiuliname.blogspot.com/2022/12/laventure-se-perdre-jusqua-oublier-qui_3.html
L'Aventure c'est la Vie elle-même,
aucune technologie ne pourra remplacer son éternel Printemps.
Merci pour ce texte Julien.
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